«World Timbres Mixture»
Un nouveau son pour la musique de chambre et d’orchestre au XXI siècle.
Texte technique
Recherche musicale (2016/17) réalisée aux studios de l’INA/GRM, Radio France-Paris, sur la fusion de timbres des instruments de traditions populaires et de l’orchestre classique, appliqués dans des œuvres «Mixing up» de José Luis Campana, Commande du Ministère de la Culture Français et de l’INA/GRM/Radio France, pour sextuor «live» et ensemble de 29 Instruments de traditions populaires sur support audio et «Etorkiz eta izatez» («Par origine et par nature») d’Isabel Urrutia, Commande du Gouvernement Basque, pour trio «live» et ensemble de 27 Instruments de traditions populaires sur support audio.
Une nouvelle palette orchestrale
Cette recherche musicale sur le timbre a été réalisée par les compositeurs José Luis Campana et Isabel Urrutia.
Informatique musicale réalisée aux studios de l’INA/GRM/Radio France.
ECHANTILLONS DE TIMBRES D’INSTRUMENTS POPULAIRES.
Compte tenu de l’impossibilité de réunir une quantité importante d’instrumentistes de différents endroits du monde qui pourraient jouer «live» en même temps, nous avons décidé d’utiliser des échantillons de timbres sur support audio, afin de représenter les instruments choisis.
Dans une première étape du travail, nous avons sélectionné des échantillons de timbres des instruments de tradition orale. Ces échantillons ont été pris d’internet, de cds et de banques de sons.
Nous avons homogénéisé leur niveau de volumen et nous n’avons appliqué aucun traitement sonore à ces échantillons.
Dans une deuxième étape du travail, nous avons traité la durée de chaque son afin d’obtenir des notes longues d’une durée d’environ 10’’. De même, nous avons travaillé l’enveloppe des sons (ADSR): leurs modes d´attaque, leurs entretiens…
TIMBRES DISTRIBUES EN COLONNES ET REGISTRES.
Dans le logiciel Ableton live, nous avons distribué les timbres par colonnes et registres: du sous-grave au suraigu et nous avons assigné à chaque registre une couleur différente, pour pouvoir les différencier facilement pendant le travail.
Nous avons décidé d’élargir l’ambitus original de chaque instrument, soit vers l’aigu soit vers le grave, en prenant soin que ces sons supplémentaires ne soient pas dénaturés par rapport au timbre original de l’instrument choisi.
Nous nous sommes inspirés des instruments classiques, c’est à dire, des différents registres dans la famille d’un même instrument, comme dans la famille des clarinettes, par exemple.
LA POLYPHONIE: LIGNES MELODIQUES ET ACCORDS.
Avec le logiciel Ableton live, nous avons testé la combinaison de différentes hauteurs et timbres, c’est à dire, nous avons pu entendre des accords construits avec des timbres différents.
La technique que l’on a utilisée pour pouvoir entendre une ligne mélodique était d’assigner le timbre du piano au clavier Midi. Une fois cette ligne mélodique enregistrée, nous pouvions lui assigner un timbre différent, c´est à dire celui d’un instrument de tradition populaire, selon nos besoins.
Ainsi, pour jouer une polyphonie de voix et de rythmes différents, nous devions enregistrer chaque ligne de la polyphonie, une par une (de forme individuelle), et par la suite, superposer toutes ces lignes dans le temps demandé par la partition.
Nous devions tenir compte du fait que le clavier de contrôle envoie à l’ordinateur des informations en code MIDI1 et, que l’ordinateur, grâce à des banques de sons installés dans sa mémoire, dispose d’enregistrements de timbres classiques avec plusieurs types de dynamique. Pour nos instruments de traditions populaires, nous n’avions pas ces possibilités. Il aurait fallu avoir des enregistrements des timbres populaires avec plusieurs dynamiques pour avoir le même résultat, ce qui n’était pas le cas.
LA DYNAMIQUE DES TIMBRES
A la différence des banques de sons des timbres classiques, si nous voulions jouer sur le clavier un timbre d’un instrument de tradition orale de notre palette, nous devions le jouer avec une seule et unique dynamique.
Pour faciliter notre travail, nous avons assigné le même niveau de volume aux instruments traditionnels, afin d´avoir le même résultat dynamique au moment de jouer sur le clavier.
C’est à dire, toutes les notes étaient jouées mezzoforte et ultérieurement, dans les séances de pré-mixage avec le logiciel Ableton live, les dynamiques ont été travaillées de manière individuelle.
FORME D’ONDE DES ECHANTILLONS DES SONS ET SES POSSIBILITES.
Le sampler ou l’échantillonneur nous permet l´organisation et le traitement des échantillons.
Dans le sampler du logiciel Ableton live, il existe une petite fenêtre où l´on peut visualiser la forme d’onde des sons, ce qui nous permet de faire des boucles pour agir sur la durée, etc. Pour réaliser des vibratos, nous utilisons des oscillateurs qui nous permettent de choisir des formes d’onde et d´assigner des vitesses variables dans le cas où nous souhaitons obtenir un vibrato rapide, très rapide, lent, irrégulier, etc…
À l´aide des lignes d´automation, nous pouvons aussi travailler des glissandis, et, en général, agir sur tous les paramètres du son dans l´évolution temporelle.
Pour faire des legatos, la technique que l´on a utilisé était de superposer légèrement les notes.
Quand nous écrivons des modes de jeux spécifiques pour ces instruments, le résultat sonore peut être très différent du timbre original de l´instrument, de la même façon que quand nous écrivons des modes de jeux pour les instruments classiques. Par exemple, si nous faisons jouer un Flatterzunge ou nous employons la voix humaine (avec du chant ou du souffle) dans l’embouchure des instruments à vent, ou si nous jouons avec l’archet écrasé sul ponticello….
LES INSTRUMENTS VIRTUELS ET LE SAMPLER
En général, les instruments virtuels existants dans le commerce sont créés à partir d’enregistrements d’instruments classiques. Les prises de son sont faites avec plusieurs microphones dans tous les registres de l´instrument, avec différents modes d’attaque, d´articulations, etc.
En ce qui nous concerne, grâce aux échantillons de timbres, nous avons recréé environ trente-cinq instruments de différentes traditions populaires pour notre « palette orchestrale ».
SYNTHÈSE ET INFORMATIQUE MUSICALE
Aux origines de l´informatique musicale et des premiers synthétiseurs, les instruments acoustiques étaient recréés par des méthodes de synthèse, tels que la synthèse additive (superposition d´ondes sinusoïdales).
Si nous avions voulu recréer les sons de nos instruments traditionnels par synthèse, tout d’abord, nous aurions dû analyser le spectre de chaque instrument pour avoir une idée précise de l’énergie ou de la dynamique de chaque partiel et de son comportement…Il s’agirait d’un énorme travail informatique et nous ne serions pas en mesure de garantir un résultat optimal.
L’ORCHESTRATION ET SES RESULTATS SONORES. LES TECHNIQUES DE MAO APPLIQUEES A LA MUSIQUE ACOUSTIQUE
Parfois, la fusion des timbres des instruments que l´on a utilisé dans nos partitions a comme résultat une sonorité qui pourrait ressembler à la musique électroacoustique. On pourrait penser qu´il y a eu des traitements sonores, mais au fond il n’y a pas eu le moindre traitement du timbre. Par contre, on a utilisé la réverbération pour la création de «halos» et pour le mixage final.
L’impression de musique quasi électronique est due uniquement à notre orchestration avec notre palette de timbres, aux polyphonies dynamiques, aux «halos», aux longues résonances, aux frottements d’harmoniques entre notes proches les unes des autres, aux tempéraments différents, aux transitions des timbres.
Il s’agit, dans la plupart du temps, de l’application des techniques de MAO (Musique assistée par ordinateur) employées dans la musique instrumentale acoustique (nous avons déjà entendu ce type de travail de composition dans des œuvres d’orchestre ou de chambre, sans aucun type de transformations électroniques dans le répertoire classique pendant le XX siècle).
MANIERES D’ACCORDER LES INSTRUMENTS DE TRADITIONS POPULAIRES DANS LE SYSTEME TEMPERE. RESULTAS NON TEMPERES.
Tous les instruments populaires ont été accordés avec des hauteurs tempérées (voir l´écran du logiciel Ableton live avec ses colonnes et ses registres de hauteurs en couleurs).
Mais évidemment, quand nous faisons des glissandis et quand nous utilisons des oscillateurs pour les vibratos, des fréquences non tempérées sont créés, c’est à dire, des frottements d’harmoniques de notes proches entre elles sont produits.
Parfois, nous avons utilisé une «palette de couleurs», où une seule note peut avoir deux, trois ou quatre timbres différents avec des dynamiques différentes, ce qui donne lieu à des textures similaires à celles des musiques électroacoustiques. Effectivement, la fusion des timbres et la transition d’un timbre à l’autre donnent des sonorités que nous n’avons pas l’habitude d’entendre mais il ne s’agit absolument pas de musique électroacoustique.
COPIE DE LA PARTITION EN SIBELIUS, SYSTEME MIDI ET LOGICIEL ABLETON LIVE
La partition est copiée avec le logiciel Sibelius et, à partir de là, il est possible d´exporter l´information en protocole MIDI pour ensuite l´importer dans le logiciel Ableton live (voir les photos d’écran du logiciel Ableton live). En général, il est plus simple d´exporter des lignes instrumentales séparées pour avoir plus de contrôle sur l´information transmise.
Il s’avère important que le copiste de la partition nomme clairement les pistes pour éviter des problèmes ultérieurs.
Le plus courant et le plus facile pour ce travail informatique est que chaque voix de la polyphonie soit écrite sur une seule portée de la partition avec le nom de l’instrument correspondant, comme habituellement dans une œuvre classique.
ECRITURE DES ACCORDS.
Si un accord est joué avec un seul timbre, il n’y aura pas de problèmes dans le cas où plusieurs notes soient écrites sur une même portée. C’est le cas, par exemple, de l’accord joué seulement par les kenas dans la pièce «Etorkiz eta izatez» («Par origine et par nature») d’Isabel Urrutia.
Par contre, si chaque note d’un accord possède un timbre différent, nous devons utiliser une portée pour chaque timbre, comme nous l’avons signalé précédemment.
LA NOTATION PROPORTIONNELLE.
Le logiciel Sibelius ne reconnaît pas tout à fait la notation proportionnelle. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire d’enregistrer les parties écrites avec cette notation particulière en utilisant le clavier MIDI et le timbre du piano. Par la suite, il est possible d´assigner un autre timbre à ces fichiers MIDI résultants.
Rappel: MIDI est un protocole d’information entre le clavier de contrôle et l’ordinateur réglé par numéros entre 0 et 1.
Dit d’une autre façon, au moment d’enregistrer la musique écrite en notation proportionnelle, elle a été enregistrée avec un son virtuel de piano. Le pas suivant a été de disposer les archives enregistrées dans le temps demandé par la partition et dans les mesures correspondantes.
La dernière opération a été de remplacer le son du piano par les timbres des instruments de tradition populaire choisis, par exemple les instruments oud, n’goni, jubus, etc. (Voir la partition «Mixing up» de J. L. Campana, V mouvement).
PARTITION ECRITE SEULEMENT AVEC DES HAUTEURS ET DE RYTHMES
Les archives de Sibelius doivent être exportées vers MIDI. La meilleure façon de procéder est que la partition comporte seulement des hauteurs et des rythmes (sans dynamiques, ni articulations, ni liaisons…). Ainsi l’information qui arrivera en code MIDI sera plus claire.
Par exemple, si nous avons des liaisons qui continuent au-dessus d’un silence pour indiquer des résonances, le MIDI ne comprendra pas cette information et décodera ces liaisons comme un son qui continue à sonner, c´est à dire des valeurs rythmiques supplémentaires non désirées vont apparaitre.
NOMBRE DE TIMBRES CORRESPONDANT AU NOMBRE DE PISTES SUR L’ECRAN DE L’ORDINATEUR
Le nombre de timbres choisis correspondra au nombre de pistes sur l’écran du logiciel Ableton live.
Si nous avons une seule voix de la polyphonie, mais nous lui avons assigné trois timbres différents, nous l´avons multipliée par trois, c’est à dire, nous avons besoin d’avoir trois pistes différentes (une pour chaque instrument), même si les trois instruments jouent la même note à l’unisson.
De cette façon, nous pourrons traiter les dynamiques de chaque instrument de manière individuelle et nous pourrons aussi faire des transitions de timbres entre les instruments, doser les dynamiques des timbres individuellement, etc.
C’est à dire, un instrument peut jouer mezzoforte, un autre mezzopiano et un troisième pianissimo, même si tous les instruments jouent la même note à l’unisson.
Comme nous l’avons expliqué précédemment, dans le cas où nous avons un accord avec une seule dynamique et un seul timbre, nous pouvons écrire plusieurs notes sur une même portée, et nous pouvons avoir une seule piste dans l’ordinateur.
MODULATIONS DYNAMIQUES, PRO-TOOLS ET TRAITEMENT AUDIO
Mais, afin de faire des modulations dynamiques individuelles, même s’il s’agit d’un seul timbre, il est nécessaire que chaque voix de la polyphonie soit écrite sur une seule portée et puisse correspondre à une seule piste dans l’ordinateur.
C’est pour cette raison que, dans «Mixing up» de J. L. Campana, nous avons eu autour de cent soixante pistes indépendantes avec de l´information MIDI. Puis, au moment de l´exporter vers des fichiers AUDIO, une fois que tous les paramètres ont été vérifiés (dynamiques, liaisons, articulations, vibratos, etc.), nous avons groupé la polyphonie par timbres et nous avons fait des «Bounces»2.
Dans notre cas, on a groupé les pistes par timbres similaires.
Bien entendu, dans le mixage général, nous pouvions modifier les dynamiques des groupes de timbres, c’est-à-dire des groupements des pistes, de ces «bounces».
Exemple: Bounce de pungis, timbres homogènes (voir la partition d’Isabel Urrutia).
L’étape suivante était de réaliser le mixage du signal audio sur le logiciel Pro-tools. C’est à ce moment que nous pouvions ajouter des réverbérations individuelles, par groupes… c’est à dire, faire le traitement du signal audio habituel.
MISE EN ESPACE DEFINITIF DES PISTES DE LA PARTITION
La spatialisation du son est la technique de distribution des pistes audio dans les haut-parleurs pour diffuser la musique au moment du concert. Les compositeurs, avec l´aide des informaticiens et techniciens, décident du comportement qu’aura le son dans l’espace.
Nous pouvons distribuer les pistes en deux, quatre, huit ou plus de canaux. Cette technique nous permet de fixer définitivement le support audio de notre musique.
Dans notre cas particulier, les timbres des instruments de traditions populaires, distribués entre les haut-parleurs, ne changent pas de place pendant le concert. C´est exactement comme dans l’orchestre classique: une fois assignés les places des instrumentistes, ils y restent pendant toute la durée de l’œuvre sans se déplacer.
Notre objectif principal est de recréer un orchestre nouveau avec des instruments acoustiques du monde où fusionnent des timbres de l’orchestre classique d’Europe occidentale et des timbres de traditions populaires de différents pays du monde, pour ainsi créer une nouvelle sonorité pour notre musique de chambre et d’orchestre.
1 Midi est le protocole de communication entre le clavier de contrôle et l’ordinateur. Il est basé sur le système binaire, c´est à dire la combinaison des 0 et 1.
2 Les «Bounces» sont les enregistrements définitifs résultant du groupement des pistes.