Un nouveau son pour la musique de chambre et d’orchestre au XXIe siècle.
«World timbres mixture» est notre nouvelle méthode de composition avec un matériel sonore nouveau, choisi par des raisons esthétiques, et qui consiste, fondamentalement, dans le mixage des instruments de l’orchestre classique avec des timbres d’instruments provenant de différents cultures, pays et continents.
Après une période de recherche sur les caractéristiques de la sonorité d’instruments de traditions populaires (tels que le aulos, azteca, pungi, didgeridoo, cornemuse, diple, duduk, erke, kena, launeddas, shakuhachi, orlo, jubus, n’goni, oud, vina etc), nous avons créé une «palette sonore» qui nous a permis de « colorer » des timbres des instruments classiques avec des timbres d’instruments de tradition orale et vice-versa.
En ce qui concerne cette «mixage» de timbres, nous avons découvert un monde «insolite, inespéré et illimité» de nouvelles sonorités pour nos partitions de chambre et d’orchestre.
JLC et IU
COMMENTAIRES
Marc Battier sur « Mixing up » de JL.Campana et « Etorkiz eta izatez » d’I.Urrutia.
Les œuvres composées par José Luis Campana et Isabel Urrutia rejoignent un mouvement qui souvent traverse les musiques de ce début de siècle, et qui se nourrit des instruments de cultures diverses. On en trouve de nombreux exemples chez les créateurs de l’Asie orientale: en Chine, au Japon ou en Corée, les mélanges de formes occidentales contemporaines, instrumentales autant qu’électroacoustique et d’instruments traditionnels sont de plus en plus fréquents. Il s’agit souvent de chercher un ancrage dans la propre tradition, si différente de celle importée de l’Occident.
Cependant, il n’en est pas ainsi. Sa quête de recherche de timbre, démarche qui a accompagné la musique depuis le début du vingtième siècle, les conduit sur un sentier encore peu fréquenté.
Comme lanterne, ils ont recours au concept du timbre, comme celles issues de recherches des années 1970 conduite par John Grey aux Etats-Unis et poursuivis par David Wessel à l’Ircam. Ces travaux sont mis en lumière de nouvelles catégories permettant de mieux comprendre les dimensions du timbre, et ont ainsi offert aux compositeurs un vocabulaire et des concepts nouveaux, comme l’a bien montré le chercheur et créateur Jean-Claude Risset. Naviguer dans une carte de timbres, c’est créer une palette de sonorités qui viennent enrichir les instruments jouées en direct: elle peut conduire à des halos, des masses, des textures ou toutes sortes d’alliages souvent denses qui font basculer la perception dans des paysages sonores inconnus. C’est aussi une victoire pour les chercheurs de la fin du vingtième siècle que des compositeurs d’aujourd’hui poursuivent leurs travaux par des créations artistiques.
Ce qui marque dans des partitions comme « Mixing-up » de José Luis Campana ou bien dans « Etorkiz eta izatez » (« Par origine et par nature ») d’Isabel Urrutia est une orchestration qui échappe à tout modèle. Les compositeurs assemblent une variété inimaginable d’instruments de cultures très différentes et en tisse les sonorités avec ceux de l’orchestre occidental. L’auditeur reconnait ici l’accordéon, là un ensemble de chambre, mais de ces instruments qui nous sont familiers émergent des textures qui sont, elles, inédites.
Cependant, ce n’est pas en recourant aux traitements électroacoustiques, dont on sait qu’ils permettent de profondément transformer les timbres et les formes sonores grâce aux techniques du studio, mais en alliant subtilement des sources sonores instrumentales. Ainsi se crée une matière à la fois proche des attentes de ce que peut apporter la musique de concert, et d’émerveillement devant ces tissus sonores inouïs.
Marc Battier Musicologue, Chercher à l’IRCAM et Professeur Émérite de la Sorbonne-Paris.
Ivanka Stoïanova sur « Etorkiz eta izatez » (« Par origine et par nature ») d’I.Urrutia.
La compositrice Isabel Urrutia excelle dans le maniement des timbres. A l’écoute de sa musique, on est fasciné et intrigué par des sonorités inouïes, produites par des instruments acoustiques connus, mais utilisés de façon si personnelle que l’on se trouve plongé dans un univers sonore où les frontières entre musique acoustique occidentale, musique électronique et musiques ethniques de pays lointains sont parfaitement abolies.
On est émerveillé par le raffinement de cet univers insolite. La dernière en date pièce d’Isabel Urrutia, intitulée Etorkiz eta izatez / Par origine et par nature (2017), composée avec la nouvelle technique compositionnelle appelée « World Timbres Mixture », est une œuvre de trois instruments joués live – l’instrument à vent basque txistu, accordéon et percussions – et 27 instruments de traditions populaires sur support audio. Les sons des 27 instruments provenant de pays du monde très différents (parmi lesquels le lambi – conque musicale des pays du Pacifique et de l’Océan indien, la harpe celtique, le didgeridoo – aérophone aborigène d’Australie, la flûte japonaise sakuhachi, l’aérophone indou en bois pungi, puis le luth de griot malien n’goni, le cymbalum hongrois et le luth tunisien jubus qui se mélangent si bien avec le vibraphone joué live, et tant d’autres) font partie de la très vaste palette de timbres instrumentaux produits en collaboration avec J.-L. Campana, qui sont utilisés en tant qu’instruments acoustiques virtuels, mélangés aux sons des instruments live.
Le but compositionnel c’est la génération d’un univers sonore toujours acoustique, modelant librement les timbres naturels d’un trio live et les timbres des 27 instruments de tradition orale qui ne sont pas présents sur scène, mais dont le son naturel est habilement mélangé au son des solistes. Le résultat sonore fascinant de cette musique acoustique sans frontières est essentiellement différent des musiques mixtes qui superposent de la musique live et de la musique préenregistrée élaborée en studio et utilisant des sons concrets, instrumentaux, vocaux et électroniques.
I.Urrutia réinvente la matière du son sans limites dans l’espace et dans le temps, en utilisant avec beaucoup de finesse les interférences timbrales de tous les instruments à sa disposition, mais toujours allant dans le sens de l’instrument et jamais contre, sans jamais le violenter ou le dénaturer. Pour en obtenir le meilleur « rendement » : c’est-à-dire, le son le plus pur, le plus beau, le plus naturel, le plus raffiné. Le travail très personnel d’I. Urrutia, marqué par une orchestration unique où elle renonce souvent aux emplois typiques des instruments dans leurs contextes habituels, permet d’effectuer ses alliages insoupçonnés et obtenir l’or unique d’un son nouveau.
Ivanka Stoïanova, Dr. en Musicologie et Dr. Honoris Causa.
Michèle Tosi sur « Etorkiz eta izatez » (« Par origine et par nature ») d’I. Urrutia.
J’entends des grands aplats de matière bouillonnante et ses contrastes de registres abrupts. Les trames au spectre large sont véritablement inouïes et soulignent d’autant l’étrangeté des timbres.
J’y ai reconnu dans le deuxième mouvement un fugato très inattendu. Sans doute inspiré par cet « orgue monstrueux » qui la joue.
Tu nous fais percevoir dans ton écriture l’infini des possibilités que recèle un tel dispositif. Bravo à toi!
Michèle Tosi, Musicologue.
Jean Geoffroy sur « World Timbres Mixture »
Retrouver les sons à partir de leurs origines. Les instruments actuels sont les fruits de siècles de développement et d’amélioration techniques et sonores, et ont souvent perdus le lien avec leurs origines.
Les timbres, la puissance, la technicité n’ont plus rien à voir avec les quelques notes que pouvaient produire leurs lointains ancêtres.
Alors qu’une flûte antique était faite de quelques trous percés dans un bois creux, ou un roseau, la flûte traversière ne garde de son origine que le souffle, mais a perdu la fragilité des sons d’autrefois ainsi que leurs timbres.
Il en est de même pour la plupart des familles d’instrument.
Ces instruments anciens, liés à des cérémonies, ou des événements particuliers de la vie en société portaient en eux la signature de la société dans laquelle ils étaient joués, et revêtaient ainsi parfois un caractère sacré, leurs sons étaient une sorte de signature d’un clan, d’un village.
C’est sur ces « signatures sonores » que José Luis Campana et Isabel Urrutia travaillent depuis longtemps déjà. Il ne s’agit pas d’inventer dans le sens d’une découverte ouvrant des champs totalement nouveaux à base de synthèse sonore, mais d’inventer dans le sens d’une redécouverte des sons que l’on croyait avoir oubliés.
A partir d’un long travail de collectage sonore, rêver un son qui serait une sorte de « réconciliation » entre les sons d’aujourd’hui et ceux du passé, donnant ainsi au son lui-même la possibilité de traverser tous les âges, des origines à nos jours.
Tel est l’ambition de ce projet: Une façon pour nous, interprètes d’entrevoir des champs d’exploration sonore tournés vers un geste instrumental originel, peut-être plus intuitif, plus informel, totalement lié au son en tant que matière à sculpter, à modeler et à redécouvrir.
Jean Geoffroy, Percussionniste, Professeur aux Conservatoires Nationaux Supérieurs de Musique de Paris et Lyon
Pascal Contét sur « World Timbres Mixture », le 25 avril 2018
« Après notre récente rencontre avec Isabel Urrutia et José-Luis Campana, nul doute que nous devons impérativement continuer à travailler leur riche matériau que je nommerai « métamorphose sonore ».
Telle une chrysalide prisonnière de sons depuis des siècles, je me laisse à imaginer les plaisirs de jouer et d’entendre l’univers sonore une fois que les compositeurs l’auront délivrée et exploitée sous différents regards d’instruments modernes et d’interprètes issus du monde de la création musicale contemporaine.
Cela nous invite au voyage intérieur tout en pensant au futur. Il relie nos mémoires aux couleurs que nous imaginons ou à d’autres encore plus inconnues issues de cultures lointaines dans l’espace comme dans celles du temps.
C’est un projet qui relie l’ancien et le moderne. J’ai déjà pu tester une rencontre similaire avec le SHENG, l’un de nos instruments les plus anciens (3000 ans avant Jésus-Christ) et le plus proche de l’accordéon actuel.
Enrichi d’une multitude de d’instruments, de recherches et de sons inédits, c’est à un nouveau monde sonore que nous invitent José-Luis et Isabel.
L’extension acoustique et électroacoustique peut en effet révéler bien plus d‘horizons sonores.
Pascal Contét sur « Mixing up » de JL.Campana et «Etorkiz eta izatez» («Par origine et par Nature») d’I.Urrutia.
Bravo à vous… c’est exaltant, étonnant, curieux et évident à comprendre, moderne, novateur et cependant si lié aux siècles précédents.
On voyage, on se laisse emporter sur un nuage bienfaiteur. Chaque seconde qui passe donne envie de découvrir la suivante avec avidité et curiosité.
Pascal Contét, Accordéoniste et Compositeur
Marie Ythier-sur « World Timbres Mixture »
«Après un premier disque pour violoncelle solo et électronique, et le travail sur les influences indo- persanes avec le compositeur A. Farhang, il m’a paru évident d’approfondir cette recherche sur les relations timbrales dans les musiques dites traditionnelles et savantes auprès des compositeurs
Isabel Urrutia et José Luis Campana.
Cette démarche compositionnelle singulière propose de nouvelles perspectives et questionnements, tant à l’interprète qu’au compositeur.
En quoi l’apport de timbres issus de la musique traditionnelle va-t-il modifier l’imaginaire de l’interprète? Quels vont être les impacts de cette modification sur le geste musical? Comment vont se transformer le rapport au temps? A l’espace? (En effet, en musique traditionnelle, la durée des sons est rarement déterminée par un espace clos).
Mais aussi, les timbres issus de la musique traditionnelles induisent une couleur, une fonction sociale, une culture, des codes. Comment s’en affranchir pour créer un univers sonore résolument nouveau?
De quelle manière l’interprète doit-il adapter ou non son geste instrumental en fonction de l’univers timbral proposé? Y’a-t-il un risque de dichotomie naturelle? Comment s’effectuera l’alliage? La rencontre? S’il y a une adaptation du geste instrumental, doit-elle venir de la partition elle-même ou de l’imaginaire de l’interprète différemment sollicité?
Je trouve cette recherche absolument passionnante et ayant déjà découvert les œuvres écrites pour orchestre et pour le percussionniste Jean Geoffroy par Isabel Urrutia et José Luis Campana, il me tarde de travailler à leur côté sur ces sonorités nouvelles issues de la rencontre entre timbres d’instruments classiques et timbres des instruments de musique traditionnelle».
Marie Ythier- sur « Etorkiz eta izatez » (« Par origine et par nature ») d’I. Urrutia
J’ai écouté la pièce « Etorkiz eta izatez »,¡bravo!, j’ai beaucoup aimé la création progressive de l’espace sonore -presque spectrale ! – qui régit l’œuvre, ainsi que le fait que les instruments solistes insufflent la matière à venir qui se développe ensuite.
Je trouve la démarche très intéressante ! Marie Ythier, Violoncelliste.
François Bayle sur le premier CD « World Timbres Mixture » avec les œuvres « Mixing up», «Nalu kamusi» et «Así…» de José Luis Campana et «Etorkiz eta izatez» («Par origine et par nature») et «Mandala» d’Isabel Urrutia / 19 mai 2018.
Merci pour cette belle production de WTM («World Timbres Mixture»).
J’ai TOUT aimé!, autant le «Mixing up» orchestral que les percussions de Jean Geoffroy («Mandala» et «Nalu kamusi») excellent comme toujours, ou la guitare de Roberto Aussel («Así…) étonnante.
Mes compliments aussi à Isabel Urrutia que je découvre avec son «Etorkiz eta izatez» très réussi.
Des sons nouveaux et des idées concrètes et réciproquement!, des nouvelles idées venues de l’écoute renouvelée, déplacée, mondialisée…
Bien cordialement à chacun, continuez sur cette belle route.
François Bayle, Compositeur et Ancien Directeur de l’INA-GRM.